Extrait du catalogue édité à l’occasion de l’exposition « Artistes plurielles » au Musée de Bourgoin-Jallieu du 4 Décembre 2021 au 30 avril 2022.
……Je connais Frédérique Fleury depuis 1988 et l’exposition Peintures que je lui avais consacrée au musée Géo-Charles que je dirigeais. Elle exprimait avec fougue des éléments qui lui étaient (et lui sont toujours) chers : l’espace hors cadre, le foisonnement des gestes, les formes ordonnées-désordonnées, échevelées mais ouvertes, l’alchimie de la matière et par-dessus tout la couleur, explosive. Je me souviens d’une démultiplication des sensations entre physique et mental. D’une partition où les notes s’affolaient. D’un art qu’on ne peut et ne doit pas assagir, ni réguler au risque de l’affadir.
Frédérique Fleury est peintre dans le sens le plus historique du terme, celui qui pose la question de la vérité de la peinture, de l’expérience de la sensation (celle chère à Matisse). Elle dessine aussi, coud du papier, qu’elle tresse et tisse. Et depuis quelques années, c’est une céramiste incroyablement féconde tirant d’infinies possibilités du matériau. Machine à coudre, tour de potier, les outils ne lui font pas peur et son ardeur à faire ne faiblit pas d’année en année. Elle se donne tous les moyens d’accéder à l’exaltation. La visite de son atelier à Lyon reste toujours pour moi une joie. Le cheminement ardent de Frédérique Fleury, je continue de le suivre, car son obstination à créer, sa vision qui fait éclater les notions étriquées de l’art, du décoratif et de l’artisanat puise au plus profond d’une exigence qui interroge sans relâche l’autre côté de l’art. Un monde exubérant revendiqué au-delà des clivages, un monde polymorphe où l’outrance va de pair avec le plaisir de jouer avec le feu.
Des œuvres présentées au musée de Bourgoin-Jallieu, je m’attacherai plus spécialement à celles qui associent le grès, la porcelaine et la toile écrue brute rembourrée, qui me font l’effet d’une pulsion, d’une poussée physique, d’un corps contraint prêt à exulter. La céramique, art complexe, laissé pour compte de l’histoire de l’art, tout du moins négligé, revient sur le devant de la scène. Frédérique Fleury n’a pas attendu son « retour du banc de touche » pour déployer avec elle une œuvre surprenante et réjouissante, qu’il s’agisse de pièces monumentales en lien avec les lieux (plein-air, jardin ou parc) qui l’accueillent ou de séries de petites dimensions où chaîne, menottes, anneaux contraignent un textile rembourré (prêt à exploser) en de surprenantes installations grouillantes de vie malicieuse. Elle flirte avec la sculpture. Gauguin avait en 1889 inventé le terme de « céramique sculpture » liée au savoir-faire. Frédérique Fleury en brouille les pistes et abolit les hiérarchies entre les arts. C’est une des caractéristiques de sa démarche, comme un appel aux sources ancestrales de l’acte de création. Cette flamboyance de la céramique (née de la maîtrise du feu) est véritablement une œuvre de passion pour Frédérique Fleury qui se fiche du bon goût, totalement insoumise impose une notion du beau hors du carcan de l’art. Physique et excessive (dans ses débordements formels) car son œuvre fait corps. Complice de la matière, l’artiste libère également la parole des formes et des femmes. Comme l’art du textile aujourd’hui, dans sa matière et ses usages, la céramique bouscule la norme, la sabote avec ivresse. Nous traversons cette histoire croisée des arts dont le suc enivrant contre l’effacement des techniques, des traditions. Frédérique Fleury s’est forgée son propre univers, un univers dans lequel se manifeste de façon exemplaire le renouveau du travail-main, celui qui dialogue par-delà les époques, qui reste pas à pas, pièce après pièce, à faire entendre les voix, les singularités multiples de l’histoire.
Élisabeth Chambon, Conservateur en chef honoraire